La légende de Mandrin

Né en 1725 en Isère, mort en 1755 à Valence... Louis Mandrin est l’aîné d’une famille de neuf enfants.
Orphelin de père, il travaille pour la Ferme générale, « institution » créée par le roi qui a délégué aux plus offrants la collecte des impôts indirects. S’estimant semble-t-il spolié, le jeune homme met un terme à sa collaboration et déclare la guerre aux fermiers généraux, ces derniers ayant en outre contribué à faire pendre son faux- monnayeur de frère...
La « carrière » de contrebandier du jeune homme est courte. Une grosse année. Mais intense. Il tue. Il pille. Il écoule des tonnes de marchandises. Il se livre au trafic de tabac et d’indiennes, ces tissus de coton dont Colbert avait interdit l’importation afin de favoriser la production nationale de laine et de soie.
Une juridiction d’exception
Excédé par les exactions des « grands contrebandiers », le roi Louis XV instaure le 31 mars 1733 à Valence une juridiction d’exception, la Commission du conseil, chargée de les juger « en dernier ressort ». En 27 ans, 817 contrebandiers seront jugés dans notre ville. 135 seront condamnés à mort... dont 134 anonymes. Louis Le Vasseur, dit Le Normand, est de ceux-là, exécuté en février 1755 dans l’indifférence quasi générale. Mandrin, qui est à la tête d’une bande de 200 brigands, est arrêté le 11 mai en Savoie, dans la plus complète illégalité puisque cette province n’est pas française, mais sarde. C’est une des raisons pour lesquelles il est rapidement jugé : sa demande d’extradition adressée par le roi de Sardaigne et duc de Savoie, Charles- Emmanuel III, à son oncle le roi de France, arrivera trop tard.
Un procès à huis clos
Le procès du contrebandier dure dix jours. Il se déroule à huis clos. Entre deux audiences, il retourne dans son cachot, dans les sous-sols de l’évêché. Il est condamné au supplice de la roue, réservé aux auteurs de crimes « atroces » (crimes commis à l’encontre des officiers du roi... dont les fermiers généraux). Il devra, préalablement à son exécution, faire « amende honorable » : à genoux, une torche de poix de deux livres à la main, en chemise, tête nue, nu-pieds, une corde au col, conduit par l’exécuteur des hautes oeuvres (le bourreau), il requiert pardon « à Dieu, au Roi, à la justice et à la partie offensée. » Plusieurs milliers de personnes assistent à la scène, sur la place des Clercs. Son cadavre sera suspendu aux fourches patibulaires, hors de la ville, quartier du Calvaire.
La légende du bandit justicier, sans doute magnifiée par la Révolution française, a fait l’objet de nombreux livres, films... et d’une complainte quelque peu fantaisiste puisqu’elle fait pendre Mandrin par « ces messieurs de Grenoble » !
Source : Ville d’art et d’histoire, Frédérique Fargier ; Valence 2000 ans d’histoire, Alain Balsan (Mémoire de la Drôme).
1755
Plusieurs mystères entourent la mort de Louis Mandrin, le 26 mai 1755. Ils ont sans doute contribué à la légende du contrebandier exécuté à 30 ans sur la place des Clercs. Le geste de Monseigneur Milon de Mesme d’abord. L’évêque de Valence, qui a demandé l’exercice du droit de « retentum »* pour le condamné, commande son portrait à un peindre valentinois, Jacques-André Treillard. Ce dernier, mobilisé par un chantier à Lyon, tarde à arriver. Il peindra Mandrin mort, au pied des fourches patibulaires où le corps est exposé. L’attitude du père Gasparini ensuite. Mandrin renvoie dans un premier temps deux confesseurs – un dominicain et un moine récollet – avant de changer d’avis. Mgr Milon de Mesme dépêche un jésuite de Tournon, le père Gasparini, qui accompagnera le condamné jusqu’au bourreau, la larme à l‘œil. « Moi je ne pleure pas. Pleurez pour deux ! », aurait commenté Mandrin. Une anecdote relatée dans les mémoires de l’intendant du Dauphiné qui n’était pourtant pas homme à s’épancher.
Enfin, on ne sait ce qu’est devenu son corps, les suppliciés n’ayant pas droit au cimetière.
* « Faveur » accordée à un criminel qui a expié ses fautes : les membres de Mandrin sont brisés mais le bourreau l’étrangle afin d’abréger ses souffrances.