Du quartier Saint-Jean à la place des Ormeaux

Bombardements, incendie, humidité, indifférence… Le musée d’Art et Archéologie, qui a rouvert fin 2013 dans un nouvel écrin, a surmonté bien des obstacles.
« Quant au musée, il n’existe pas et les quelques toiles que nous possédons moisissent et se détériorent dans des coins obscurs et indignes d’elles. » En mars 1847, les élus valentinois déplorent une absence qui sera comblée trois ans plus tard par l’aménagement du premier étage de la bibliothèque, quartier Saint-Jean. « Ce qui embellit une ville, ce qui la distingue, ce qui la classe et la fait rechercher des voyageurs (…) ce sont aussi les établissements qui témoignent du goût et de l’intelligence », s’enflamme M. Dupré de Loire, conseiller municipal, en 1849.
Des collections « très éclectiques »
Les collections entreposées, provenant essentiellement de dons, sont « déséquilibrées et disparates. » Celle d’histoire naturelle (avec des oiseaux d’Amérique !), occupe une place importante. La section beaux-arts est constituée essentiellement de toiles de peintres locaux et de copies, très en vogue au 19e siècle. Depuis 1836, Valence est riche d’une centaine d’oeuvres d’Hubert Robert, don fait par Julien-Victor Veyrenc en 1836 « dans le but même de créer un musée »… mais elles sont peu mises en valeur.
La faute, peut-être, au manque de professionnalisme des conservateurs. Erudits locaux, artistes ou professeurs retraités, le poste leur est attribué par la municipalité à titre honorifique. Ils disposent d’un budget étriqué : 000 francs en 1881 pour l’entretien des locaux et l’acquisition d’œuvres. Tout objet donné est susceptible d’être exposé. Conséquence : les locaux deviennent rapidement exigus, vétustes (leur état est jugé « piteux » en 1905) et la Ville en cherche de nouveaux, demandant même au ministère de l’Intérieur l’autorisation –refusée- d’organiser une loterie pour financer la construction d’un nouveau musée, boulevard d’Alsace.
Le chauffage en 1947
En 1905, la loi de séparation des églises et de l’Etat libère l’ancien évêché, place des Ormeaux. La Ville acquiert –non sans mal- le bâtiment, qui sera inauguré le 20 avril 1912. La nomination du colonel Fréquenez comme conservateur, en 1929, marque le début d’un certain renouveau avec, notamment, une démarche d’ouverture : prêt d’œuvres, expositions… et même publicité (900 francs pour une parution dans un magazine de « propagande touristique » !).
Maurice Caillet et Marguerite Beau lui succèdent. Ces deux professionnels démocratisent la fréquentation du musée, l’ouvrent largement aux écoles, obtiennent des aménagements (installation partielle du chauffage en 1947 pour lutter contre l’humidité), lancent les premières études sur les collections qu’ils élaguent… Avec eux, et grâce à l’aide financière des Amis du musée, l’art contemporain fait son entrée place des Ormeaux.
1940-1944
« En 40 nous avions eu des instructions pour évacuer les livres et les objets les plus précieux dans un abri parce qu’on redoutait les bombardements », raconte Maurice Caillet, conservateur de 1937 à 1949. « Tout ce qui risquait » est entreposé dans le pigeonnier du château de Cachard, en Ardèche. Fait prisonnier et rapidement libéré, Maurice Caillet va récupérer les œuvres, trop exposées à l’humidité. Nouvelles instructions en 1943 et nouveau déménagement vers le château de la Vachère, dans le Vercors « endroit jugé parfaitement calme à l’époque. » Maurice Caillet rend visite aux œuvres, à bicyclette, montant « patte blanche » au poste de garde du maquis. Lorsqu’il sent que « cela risque de mal tourner », il trouve un transporteur pour les rapatrier et fait le voyage muni de deux laissez-passer : celui de préfecture et celui du maquis. Non loin de Livron, « une pétarade épouvantable » l’oblige à faire demi-tour. Il doit attendre la Libération pour récupérer les collections du musée, intactes.
« Histoire d’un musée de province : le musée de Valence (1850-1969) ». Mémoire de Blandine Renard