Mai 68 à Valence

Que s’est-il passé il y a 50 ans, dans les rues, lycées, entreprises valentinoises ?
« C’est la première fois que je voyais des drapeaux noirs, les drapeaux noirs de la révolution, dans un défilé à Valence, au milieu des drapeaux rouges. C’est sans doute ce qui m’a le plus marqué. » Alors jeune journaliste, Pierre Vallier a suivi au jour le jour les événements de mai 68 à Valence, sans pouvoir les partager avec ses lecteurs. En effet, Le Dauphiné Libéré a cessé de paraitre du 21 mai au 8 juin, comme l’indique Alain Balsan, dans le numéro de mars de La Revue drômoise, consacré en partie à Mai 68 dans la Drôme. L’historien, qui s’est livré à une synthèse de la presse locale, constate : « Ce n’est guère que le 15 mai que le Dauphiné Libéré évoque le mouvement local, en relatant la manifestation de l’avant-veille. » Extrait : « Lundi après-midi, des milliers d’ouvriers et d’étudiants de Valence et des diverses régions du département avaient répondu à l’appel des centrales CGT, CFDT et Fédération de l’Éducation nationale. »
Dans le calme
« Il y a eu beaucoup de manifestations. C’était impressionnant. Il s’en dégageait une espèce de gaieté. Bien-sûr, les revendications étaient là. Mais, oui, j’en retiens ce côté festif, avec des gens qui faisaient grève et défilaient pour la première fois de leur vie », poursuit Pierre Vallier. Le journaliste se rendait dans les usines. « J’ai été témoin de nombreuses occupations. Je me souviens notamment de la Boulonnerie calibrée. »
Les Valentinois se sont mobilisés dans les usines, bureaux, lycées (la ville n’avait alors pas d’université)… comme en témoigne la chronologie ci-contre. Cependant, selon David Vinson (La Revue drômoise), on ne dénombre que très peu d’incidents dans le département. « Il est réconfortant de constater qu’à aucun moment l’ordre n’a été troublé, les diverses manifestations s’étant déroulées dans le calme. Les forces de l’ordre… n’ont pas eu, en définitive, à intervenir » ; « Tous les défilés se sont déroulés dans le calme … aucune manifestation n’a suscité d’incidents. » Ainsi s’expriment le chef d’escadron Pinart, commandant le groupement de gendarmerie de la Drôme, et le préfet du département. Quelques « péripéties » sont toutefois relatées –vitres cassées près de l’Hôtel de Ville lors de la manifestation du 13 mai-, tensions entre grévistes et non-grévistes au sein de certaines entreprises…
Lorsque Le Dauphiné Libéré fait son retour dans les kiosques, la reprise est à l’ordre du jour. Dans les entreprises (à l’exception des secteurs de la métallurgie et de la chimie), dans les lycées (un entrefilet annonce l’ouverture d’Emile Loubet). Très vite, la page est tournée pour passer aux élections législatives qui souriront, dans la Drôme, aux gaullistes de l’UDR et leurs alliés.
Chronologie
-12 mai : défilé et rassemblement du Comité départemental d’action laïque ; appel à la grève générale pour le 13 mai.
-13 mai : manifestation de salariés et de lycéens ; grèves dans la fonction publique et dans plusieurs entreprises.
-19-21 mai : création d’un comité départemental de grève dans l’enseignement.
-20 mai : mot d’ordre de grève illimitée avec occupation des locaux. Début des occupations d’entreprises dans le secteur de la chaussure à Romans, à la Sogev (Cartoucherie), à la direction de l’équipement…
-24 mai : manifestations d’agriculteurs. Création du comité d’action des travailleurs sociaux de la Drôme. Vote de la grève des enseignants des écoles catholiques.
-25 mai : pic maximum du nombre de grévistes et d’occupation d’entreprises dans le département. Reprise du travail dans les Grands Magasins de Valence.
-29 mai : manifestation. Vente directe de produits à l’initiative des Jeunes agriculteurs.
-31 mai : le conseil municipal vote des crédits de soutien aux grévistes.
-7 juin : reprise des cours dans la plupart des écoles primaires.
-8 juin : l’association de parents d’élèves des lycées appelle à la reprise des cours.
Source : La Revue drômoise, mars 2018, Esquisse chronologique de David Vinson.